Quand la voile solaire emmène trois étudiants de l’IPSA au Japon !
Actuellement en dernière année de leur cursus d’ingénieurs au sein de la filière Espace, lanceurs et satellites, Esteban Decline, Elise Denis et Simon Maillot sont trois passionnés d’espace qui ont eu l’occasion de participer à la dernière édition de l’International Symposium on Space Technology and Science (ISTS) organisée au Japon afin de présenter le fruit de leur Projet Master IPSA en lien avec les voiles solaires, une approche innovante de la conquête spatiale !
Quand on pense aux différents appareils et véhicules se trouvant dans l’espace, on pense d’abord aux fusées, aux satellites, aux rovers ou encore à la station spatiale internationale, mais rarement à la voile solaire. « C’est un engin qui se déplace dans l’espace à l’aide de la pression photonique ou, pour faire simple, grâce à la lumière émise par le soleil, explique Simon. Il faut s’imaginer une sorte de grande voile carrée – celle sur laquelle nous avons travaillé est un grand carré de 7 mètres sur 7 mètres, par exemple – dont le but premier est de voyager dans l’espace à moindre coût en utilisant simplement l’énergie du soleil et aucun autre moyen de propulsion. » Une façon de voyager dans l’espace plus durable.
La voile solaire, une innovation qui se dévoile petit à petit
Pensée comme une réelle alternative aux propulsions chimique, nucléaire ou électrique, la propulsion de la voile solaire est également la seule qui permettrait d’atteindre des vitesses proches de celle de la lumière. « Bien sûr, on mettrait plusieurs années avant d’accélérer jusqu’à de telles vitesses, mais c’est possible, affirme Esteban. En effet, une voile solaire peut atteindre la moitié de la vitesse de la lumière simplement avec une accélération continue sur plusieurs années via la pression des photons. » Cette prouesse pourrait être cruciale pour de lointaines missions cherchant à aller d’un système solaire à un autre. Mais alors, face à de tels arguments, pourquoi ne parle-t-on pas davantage des voiles solaires ? Tout simplement parce qu’à l’image de son accélération prenant plusieurs années, cet engin a, lui aussi, dû prendre son mal en patience pour attirer l’attention de plus en plus d’acteurs de l’espace. Il aura ainsi fallu 2010 pour voir le premier lancement à ce jour d’une voile solaire avec celui de la voile japonaise Ikaros. Et même si la voile solaire ne jouit pas (encore) d’une immense popularité auprès du grand public, elle peut tout de même compter sur de solides soutiens dans la communauté scientifique.
Simon, Elise et Esteban
La connexion de La Réunion
Polytechnicien passé par le CNES, l’ingénieur Guy Pignolet est l’un des plus fervents défenseurs de la voile solaire et de la propulsion photonique. Véritable expert en la matière, il donne régulièrement des conférences sur le sujet à travers le monde et se trouve être à l’origine de l’Union pour la Promotion de la Propulsion Photonique (U3P), une association active depuis 40 ans afin de justement faire la lumière sur ce procédé utilisant celle du soleil. En outre, Guy Pignolet est aussi une figure réunionnaise importante. En plus d’avoir conçu le drapeau officieux de l’île (qui possède même son émoticône), il œuvre pour y développer le secteur du spatial et n’hésite jamais à transmettre son goût des sciences aux nouvelles générations… dont font partie Esteban et Simon, tous deux également originaires du département français niché dans l’océan Indien : ils rencontreront le scientifique pour leur projet à mener au lycée – le premier s’intéressant alors déjà à la propulsion photonique, le second à la terraformation de mars –, ce qui les mènera à participer grâce à lui à leur premier Congrès international d’astronautique (IAC) en 2017 avant, quelques années plus tard, à se lancer dans un Projet Master IPSA ambitieux avec Elise à leurs côtés.
Guy Pignolet lors de l’ISTS 2023
À la découverte du projet Payankeu
« Tout a commencé l’an dernier, se remémore Esteban. J’ai recontacté Monsieur Pignolet pour savoir où en était Payankeu, le projet de voile solaire qu’il portait depuis plusieurs décennies. C’est alors qu’il m’a expliqué qu’il prenait enfin forme concrètement ! À la suite de cet échange, j’ai parlé à Elise qui, n’étant pas réunionnaise, ne connaissait pas encore cet homme puis à Simon. Tous les trois, nous avons alors décidé de rejoindre l’U3P pour prendre part au projet Payankeu ! » Le trio de futurs ingénieurs se retrouve ainsi à devoir intégrer le module d’instrumentation de cette voile solaire censée devoir aller jusqu’à la Lune pour prendre une photo. À cette tâche s’ajoute une mission secondaire. « On devait aussi mesurer la densité de particules de poussière cosmique entre la Terre et la Lune, poursuit Esteban. Or, pour cela, il fallait concevoir l’instrument capable de donner ce résultat-là, une sorte de « compteur de poussière » si l’on veut. Et c’est ce qui a été proposé à l’IPSA comme sujet de PMI. On a ensuite pu réaliser un prototype de ce compteur pour cette voile solaire… et c’est ce qu’on a pu présenter au Japon ! »
Illustrations réalisées par l’artiste Olivier Boisard de l’U3P ©U3P
Petites poussières, mais grandes données !
Les poussières cosmiques, il y en a beaucoup dans l’univers. On peut même dire qu’il y en a partout. Provenant de comètes, de fragments d’astéroïdes ou de collisions, elles sont parfois là depuis très longtemps. « Dans notre système solaire, ces poussières cosmiques ont différentes origines, mais proviennent toutes de la formation du système solaire : elles sont ce qu’on appelle « des rémanents », à l’instar de la Terre, détaille Esteban. Ainsi, quand on les date, on retombe sur à peu près l’âge du système solaire. » De ce fait, ces poussières permettent directement de comprendre comment était formé le système solaire, selon leur emplacement, leur répartition et leur densité.
C’est justement ce que cherche à mesurer les trois IPSAliens via leur PMI, d’autant que, même si ces poussières cosmiques représentent un intérêt scientifique reconnu, elles ont été très peu étudiées jusqu’à présent dans l’espace proche de la Lune ainsi qu’entre la Terre et la Lune – seulement 2 ou 3 missions s’y sont attardées à ce jour et, malheureusement, pas assez longtemps pour collecter des données suffisantes. « Obtenir ces données entre la Terre et la Lune serait une première scientifique », juge Esteban, rapidement rejoint par Simon : « En cartographiant les zones ayant une densité plus importante ou celles ayant une densité moins importante, on pourra savoir dans quelle région naviguer ou pas lors de futures missions spatiales. En effet, bien que les particules de poussière cosmique soient de très faibles tailles, leur impact, lui, peut être en revanche très important et avoir potentiellement des répercussions sur l’électronique embarqué au sein des appareils et véhicules. Par exemple, sur la structure du satellite Hubble, ils peuvent atteindre plusieurs millimètres de profondeur… »
Dans le cadre de Payankeu, les trois futurs ingénieurs faisaient partie du module instrumentation afin de s’occuper notamment du développement du compteur de poussières cosmiques. Ce dernier étant voué à être abrité dans un CubeSat de 20 cm par 20 cm (soit un nanosatellite) situé au centre de la voile solaire et accueillant également d’autres instruments (ordinateur de bord, caméras, etc.), le trio se devait donc de respecter un cahier des charges bien particulier avec des contraintes de taille et de masse tout en se répartissant le travail. Elise a ainsi beaucoup travaillé sur l’aspect optique de l’instrument comprenant un laser et un miroir, en calculant par exemple le bon emplacement de celui-ci. Esteban a lui davantage œuvré sur l’aspect thermique et les prédictions du nombre d’impacts. Enfin, Simon s’est plutôt concentré sur le design de la structure et sa mise en pratique, c’est-à-dire le placement des instruments et la modélisation 3D. Une fois le projet de compteur de poussières abouti, les IPSAliens suivent le conseil de Guy Pignolet et rédigent un article scientifique à l’issue du PMI afin de le soumettre au comité de l’ISTS. Sélectionnés en décembre, Elise, Esteban et Simon peuvent alors compter sur le soutien de l’IPSA pour leur permettre de se rendre au Japon pour défendre leur PMI et vivre une expérience inoubliable.
Un rêve au Japon
« Aller au Japon, c’était un rêve ! » Quand elle parle de son récent séjour sur l’île de Kyūshū pour l’ISTS, Elise affiche encore un grand sourire et pour cause : le pays du soleil levant la fascine depuis de nombreuses années. « Je parle un peu japonais, mais je n’avais encore jamais eu l’occasion de le pratiquer réellement, confie celle qui, après l’IPSA, va intégrer l’Agence spatiale européenne (ESA). Surtout, en 2020, j’ai planifié un voyage au Japon qui, en raison de la pandémie, a finalement été annulé… » Des trois étudiants, seuls Simon avait déjà une certaine connaissance de l’archipel nipponne, ayant déjà pu réaliser un premier stage au sein de l’Agence spatiale japonaise (JAXA) lors de son cursus. « Ce stage s’était déroulé dans la ville de Sagamihara, en banlieue de Tokyo, sauf qu’il ne portait pas du tout sur les poussières cosmiques mais sur les satellites à puissance solaire, explique-t-il alors qu’il effectue un second stage dans la même entité pour conclure sa 5e année. Participer à l’ISTS représentait une bonne occasion de visiter cette fois le sud du pays que je n’avais pas eu le temps de découvrir et des paysages magnifiques comme très différents de ceux très urbains que je connaissais déjà. »
Rencontre avec John Mankins, ancien ingénieur de la NASA en charge de la prospective et spécialiste du transfert d’énergie sans fil depuis l’espace, instigateur du projet Moon Village
« Un cap de passé »
Lors du congrès, les trois étudiants vont réaliser une présentation en anglais devant une cinquantaine de professionnels, mais surtout multiplier les rencontres avec des spécialistes de l’espace japonais, américains, allemands, français… « J’ai trouvé que ce congrès marquait vraiment une transition dans notre parcours, ne serait-ce qu’au niveau des échanges avec toutes les personnes présentes, estime Elise. Je me suis réellement sentie comme membre à part entière de ce milieu, pas juste une spectatrice : j’étais plus une professionnelle et moins une étudiante ! J’avais des choses à dire et à partager ! » Un avis partagé par Simon : « C’est un cap de passé au niveau professionnel ! »
Ce qui marque énormément le trio lors de l’ISTS, outre l’importance du congrès en lui-même et son rayonnement international, c’est la courtoisie et la mentalité des hôtes. « On sentait chez les Japonais une réelle envie de partager leurs connaissances : ils ont vraiment l’envie de de transmettre leur passion et de vous expliquer ce qu’ils sont en train de faire », s’enthousiaste Simon. « On retrouve peut-être moins de snobisme et d’arrogance chez eux, note Esteban. Certes, on s’y attendait, mais quand on le vit, on est limite à se demander comment on a fait pour vivre sans eux jusqu’à présent ! » De quoi faire regretter de ne pas pouvoir prolonger le séjour ? « On s’y adapte tellement que c’est ensuite dur de revenir à Paris pour retrouver des gens un peu moins polis, s’amuse Elise, heureuse d’avoir pu fouler le sol de ce pays tant espéré et enfin pratiquer le japonais. Cela a été merveilleux de pouvoir utiliser en vrai ce que j’ai pu apprendre depuis le lycée ! »
Encore charmé par le congrès et la halte qu’il a pu faire à Nagasaki en bon passionné d’Histoire (« se rendre dans cette ville tristement rendue célèbre, c’était quelque chose de très marquant »), Esteban remercie à nouveau ceux qui ont rendu possible cette participation – l’U3P et Guy Pignolet, l’IPSA… Actuellement en stage à Toulouse chez Alten en tant qu’ingénieur spatial en R&D, le jeune homme s’est d’ailleurs juré avec Simon de revenir lors de la prochaine édition de l’ISTS, en 2025. Et pour passer le temps d’ici, les deux Réunionnais pourront continuer à contempler les étoiles comme ils l’ont toujours fait, mais pas de compter les poussières cosmiques. Il y en a bien trop.