« Le futur de l’avion », le livre qui décrypte les prochains défis de l’aéronautique
En écrivant l’ouvrage « Le futur de l’avion » paru chez FYP Éditions, Francis Pollet, le directeur général de l’IPSA, souhaitait explorer les nouveaux défis qu’aura à relever le secteur de l’aéronautique dans les années à venir. Nourri d’exemples et de leçons tirées du passé (ainsi que d’une préface signée par le pilote Bertrand Piccard), ce livre permet également de comprendre comment et pourquoi l’aéronautique a toujours su se réinventer face aux différentes crises qu’elle a eu à traverser. De quoi envisager le futur de l’avion avec optimisme !
Pourquoi ce livre ?
Francis Pollet : L’idée du livre est née de manière très simple. En effet, je suis de près le monde de l’aéronautique depuis plusieurs années maintenant. Lorsque je travaillais en cabinet ministériel – j’ai pu accompagner quatre ministres différents dans ma carrière –, je suivais déjà toute l’actualité de l’aéro au quotidien. Les années passant, j’ai poursuivi ce travail, profitant également de l’essor d’Internet et de nouveaux médias pour m’informer encore davantage. C’est donc une activité que je n’ai jamais cessée, d’autant plus à l’IPSA où, pour susciter des vocations, nous sommes toujours à la recherche de conférences et de sujets de projets innovants pour nos étudiants. Un jour, un magazine m’a contacté pour écrire un petit article sur l’aéronautique de demain, puis un autre m’a demandé ce que je pensais du « flygskam », cette « honte de prendre l’avion » popularisée au moment où Greta Thunberg a décidé de se rendre à New York en bateau – alors que son équipage, lui, s’y rendait en avion…. Et, enfin, la Covid-19 est arrivée. Bien entendu, on peut se dire que sans la Covid-19, on se serait tout de même dirigé vers l’avion plus propre – je ne parle pas d’avion propre parce que ça, je ne sais pas si cela peut exister –, mais j’ai tout de même voulu faire mes petites recherches. J’ai alors épluché la presse. J’y ai trouvé beaucoup de choses et de pistes intéressantes, mais souvent de façon très dispersée. Alors, plutôt que faire plein de petits articles, j’ai pensé qu’il serait plus judicieux d’écrire un livre pour résumer la situation actuelle, en intégrant la question du climat et de la Covid-19, mais aussi la sortie de cette pandémie et des défis industriels que cela implique. À mon sens, l’industrie doit profiter de l’occasion pour non pas faire quelque chose d’évolutif, mais quelque chose de disruptif.
Qu’entendez-vous par « disruptif » ?
Jusqu’à présent, l’aéronautique fonctionnait par grands à-coups – c’est ce que j’appelle « disruptif » –, chacun de ces grands à-coups laissant ensuite place à de longues phases d’implémentation. Un bon exemple, c’est le Boeing 707 né en 1960. Si vous prenez l’Airbus A350 d’aujourd’hui, vous verrez qu’il n’est pas fondamentalement différent de l’appareil de Boeing même si plusieurs évolutions ont eu lieu au fil des décennies. Selon moi, il faut davantage de réelles ruptures comme a pu l’être l’apparition du réacteur sur les avions de ligne. Évidemment, les ruptures ne sont pas sans risque et, dans l’aéronautique, sans risque de crash. On peut ainsi se souvenir du Comet, l’un des tout premiers avions à utiliser le réacteur, dont la production a dû s’arrêter parce qu’il se crashait quasi systématiquement. Bref, cette période particulière de crise du Covid-19 où l’on entend parler des tas de spécialistes qui, finalement, n’y connaissent pas grand-chose m’a semblé être le moment idéal pour dresser un constat et donner mon point de vue, mon avis. Et comme je connais très bien le secteur et ses acteurs, les gens qui travaillent dans ces entreprises et sur ces questions, je sais qu’il ne faut pas dire n’importe quoi. Ayant pu observer de nombreuses crises par le passé, de la crise du SRAS de 2002-2003 à la crise économique de 2008 en passant par la crise du terrorisme post-2001, je sais d’expérience que l’aéronautique finit toujours par se relever pour repartir de plus belle. Certes, sa croissance peut parfois buter sur des crises, mais elle reste très forte. Toute la difficulté aujourd’hui consiste justement à savoir quand elle repartira de plus belle. Ce livre est donc avant tout un témoignage… et un témoignage teinté d’optimisme. Car je pense que, quand cela va repartir, cela va repartir très fort et peut-être encore plus fort qu’avant. Ceux qui aiment voyager rongent leur frein aujourd’hui et, dès que le vaccin sera largement diffusé, ils seront nombreux à se ruer sur les billets d’avion.
Pour l’élaboration du livre, vous avez pu compter sur l’apport d’Olivier Auber, un chercheur en cognitique.
L’aéronautique, c’est un domaine très technique et je voulais absolument éviter l’écueil du livre hermétique, doté d’un langage incompréhensible. C’est pour cela que j’ai voulu me tourner vers des personnes dont c’est le métier, qui font de la symbologie et de la cognitique, pour m’aider dans cette entreprise. C’est comme cela que j’ai pu rencontrer Olivier Auber. La cognitique en aéronautique par exemple, c’est la représentation que l’on peut avoir d’une situation dans un avion. Il ne suffit pas d’avoir une alarme, encore faut-il qu’elle soit bien placée, qu’elle ait une symbologie utile et instinctive – quand c’est rouge, c’est dangereux ; quand c’est vert, tout va bien. Le regard d’Olivier Auber m’a ainsi permis de corriger un verbiage pouvant parfois devenir trop technique. Mon but avec cet ouvrage n’est pas tant de parler à ceux qui savent, mais bien de donner mon avis à la société et ses différentes composantes, des professionnels au grand public en passant par les étudiants et les passionnés d’aviation. C’est un livre que je destine à toutes celles et ceux qui veulent d’abord en savoir plus sur l’aéronautique d’aujourd’hui.
Francis Pollet
Qui signe ce livre, finalement ? Le Général ? L’ancien membre de cabinet ministériel ? Le pilote ? Le directeur de l’IPSA ?
C’est l’observateur privilégié qui signe ce livre ! Et cet observateur, il a justement fait tout ça. Si je suis devenu directeur de l’IPSA, l’une des rares écoles d’ingénieurs en aéronautique de France, c’est aussi grâce à cette expérience. J’ai observé oui, mais j’ai aussi agi. Et c’est parce que j’ai été acteur de cet univers que j’ai un avis légitime. Observer sans jamais agir, c’est un peu facile. Et si, aujourd’hui, on travaille sur les bio-carburants, l’avion hybride ou l’avion à hydrogène, c’est parce que les acteurs y croient et savent que cela marchera. Il ne faut pas perdre de vue que le monde de l’aéronautique est un monde où l’on se croise souvent, où tout le monde connaît tout le monde, mais aussi un monde très ouvert sur l’extérieur.
Sortir ce livre est-il aussi un clin d’œil à l’IPSA qui fêtera ses 60 ans d’existence en 2021 ?
Bien sûr ! Il s’est passé tellement de choses depuis sa création… Aujourd’hui, parce que l’on connaît une crise, certains sont tentés de prédire la fin de l’aéronautique, mais ce n’est pas vrai ! D’accord, il n’y a plus 10 000 avions à fabriquer, mais il en reste tout de même 8 000. Et comme on en construit 1 000 par an, on ne peut décemment pas parler de crise. Tous les voyants de l’aéronautique sont dans le vert : la production a été freinée par l’arrêt des long-courriers, mais quand l’activité va reprendre, cela va repartir de manière incroyable. Les entreprises qui, actuellement, réduisent leurs forces de travail le font de manière illogique car, d’ici un ou deux ans, elles auront à nouveau besoin de cette main d’œuvre qualifiée déjà difficile à trouver. Avant même la Covid-19, les entreprises recherchaient déjà ardemment des profils Bachelors et ingénieurs. La situation risque donc d’être fortement tendue pour elles en matière de ressources humaines, mais cela se traduira en de très belles opportunités pour nos étudiants et diplômés !
Justement, dans ce rebond que vous annoncez, quelle place occuperont les IPSAliens ?
À l’heure actuelle, la grande majorité des acteurs de l’industrie a recours au chômage partiel, ce qui représente une activité réduite à 70 % du temps de travail. Quand cela va repartir, il va donc y avoir un appel d’air terrible et nos diplômés vont être littéralement happés, en France comme à l’International. Au fond, c’est très facile de stopper des spécialités, mais c’est très difficile de les remettre en marche. Nous, à l’IPSA, on s’y prépare déjà. Et les jeunes ne s’y trompent pas puisque, malgré la crise et les annonces, ils sont très nombreux à avoir décidé de nous rejoindre – la crise n’a pas du tout impacté l’école.
Le livre décrypte à la fois l’évolution de l’aéronautique, la situation actuelle et son avenir potentiel. On a l’impression que l’on ne peut pas imaginer le futur sans d’abord analyser le passé et le présent…
La vie est faite de cycles, d’où ma volonté de témoigner, de partager ce que j’ai vécu. C’est d’autant plus important que la technologie est prépondérante dans ce milieu et que cela ne sert à rien d’imaginer un nouvel avion si l’on ne sait pas comment le construire ni ce qui a été accompli auparavant. En aéronautique, quand on se fixe un objectif, on y va et on y parvient. Si l’on dit qu’on aura un avion à hydrogène en 2035, on est certain d’y arriver, parce que des appareils de ce type ont déjà existé et volé par le passé, notamment en Russie avec le Tupolev Tu-155. On sait que ça existe, que ça vole. Maintenant, il n’y a plus qu’à perfectionner et à sécuriser le système. C’est la même chose pour les bio-carburants. Certes, le prix du pétrole est faible en raison du creux de la crise et cela n’incite pas à changer pour des avions qui consomment moins, mais dès que les frontières vers la Chine et surtout les États-Unis vont rouvrir, l’emballement va pousser les acteurs à s’y mettre à nouveau, en accélérant. Heureusement, je ne suis pas le seul à envisager ce scénario plus optimiste. Tout récemment, j’ai ainsi appris que Latécoère avait revu à la baisse son plan social, prévoyant finalement deux fois moins de départs alors que la première version de ce plan avait à peine un mois ! Il y a quelques jours, un article des Echos rappelait également que, malgré la crise, tous les fondamentaux du secteur étaient excellents. On se rend compte que tout est en train de changer très vite et cela démontre les limites de l’analyse par l’instantanéité.
Dès lors, peut-on parler de reconquête du ciel ?
Oui. Moi-même dans le livre, j’utilise l’image d’un vol qui se passe bien, en remontée, puis qui subit un décrochage avant un redécollage. On est dans une reconquête du ciel. En attendant, il faut faire avec la Covid-19 qui régit tout en ce moment. La situation n’est pas facile à vivre, mais très bientôt, on pourra de nouveau travailler sur comment intégrer l’avion dans un paysage décarboné. On reviendra sur la question climatique, le point essentiel. On va d’un côté faire évoluer les avions existants et de l’autre développer dans la foulée des avions innovants. Le secteur va ainsi avoir besoin de beaucoup d’ingénieurs de développement et d’ingénieurs de production car ces deux chantiers se feront en même temps ! Les entreprises le savent car elles n’ont pas freiné l‘embauche de jeunes ingénieurs.
De par son histoire, l’aéronautique a toujours été source d’innovation. S’il y a un bien un secteur à qui l’on peut faire confiance pour se réinventer, c’est bien celui-là, non ?
L’innovation permanente, ça fait partie des gènes du secteur ! Un exemple que j’affectionne particulièrement, c’est celui de l’A320. De celui de 1985 à celui qu’on utilise aujourd’hui pour faire un trajet Paris-Nice, c’est le même avion pour le passager, sauf qu’en fait, il consomme deux fois moins, pollue deux fois moins et fait deux fois moins de bruit : ce n’est plus le même appareil ! La forme est identique, mais les matériaux et la technologie non. Dans les années à venir, ces innovations seront de plus en plus visibles. Certes, dans un premier temps, on va d’abord améliorer l’existant, mais dans un second temps, on découvrira de nouvelles formes d’avions. Les moteurs seront de plus en plus gros : on les installera non plus sur les ailes, mais directement sur le fuselage. De toute façon, l’aéronautique est un mélange entre fondamentaux – pour éviter que l’avion ne tombe par terre – et innovation, cette dernière étant nourrie par le challenge permanent auquel se livre ses acteurs pour gagner en efficacité et en sécurité, notamment Boeing et Airbus. Quand Thales sort un nouveau tableau de bord et que tout le monde se l’arrache, c’est parce qu’il est à la fois fiable, plus agréable, ergonomique, simple et moins fatiguant pour les équipages. Dès qu’une nouvelle technologie beaucoup plus sécurisante est proposée, toutes les compagnies se ruent dessus.
Le livre démarre par une préface de Bertrand Piccard, pilote et cofondateur de l’avion solaire Solar Impulse. Lui demander de la signer était une évidence ?
Non seulement Bertrand Piccard est un fin observateur du secteur qui milite depuis longtemps pour les avions hybrides, mais en plus, il agit. Rappelons qu’il a réalisé un tour du monde avec Solar Impulse ! Il sait ce qu’est l’action. Surtout, il fait partie de cette catégorie de pionniers capables de fédérer les énergies. Un Bertrand Piccard qui va faire un tour du monde, cela va susciter des vocations chez des milliers de jeunes. L’histoire de l’aéronautique est d’ailleurs parsemée d’icônes. Notre chance, c’est que Bertrand est une icône et une icône bien vivante ! Il est aussi très facile d’accès et toujours prêt à retrousser ses manches pour l’aéronautique, qu’il considère comme l’une des plus belles conquêtes de l’Homme.
Au final, si l’on devait résumer les quatre idées clés du l’ouvrage, quelles seraient-elles ?
La première idée, c’est que l’on doit se lancer vers le décarboné. Il faut prendre le train – ce qui est amusant pour ce secteur – de l’écologie et du développement durable. Cela va être un accélérateur de sortie de crise. La deuxième, c’est l’importance de la charge de travail qui n’a pas disparu : nous avons toujours énormément d’avions à construire ! La troisième, c’est l’après Covid-19 qui se prépare. Une fois la reprise du trafic aérien effective, notamment vers les États-Unis, la reprise sera explosive ! Il faut en avoir conscience. Enfin, la quatrième idée porte sur les besoins des acteurs. Non seulement on va avoir besoin d’ingénieurs de production, mais aussi de plus en plus d’ingénieurs de développement, notamment sur les nouvelles technologies durables. Et du côté de l’IPSA, nous sommes évidemment en train de travailler à fond sur ces nouveaux chantiers. Et nous ne le faisons pas seuls dans notre coin : nous réfléchissions aussi à développer de nouveaux partenariats avec d’autres écoles du Groupe IONIS pour relever ces défis. Par exemple, on regarde ce que l’on pourrait faire en matière de chimie autour des avions électriques. Le mot d’ordre, c’est et cela restera toujours l’ouverture !