Conférence : partez à la chasse aux débris spatiaux avec l’IPSA, le jeudi 4 mars 2021 !
La pollution ne concerne pas que la Terre : elle touche aussi l’espace. Au-dessus de nos têtes gravitent ainsi plusieurs milliers de débris plus ou moins gros, plus ou moins dangereux, comme autant de vestiges des différentes tentatives de conquête aérospatiale. Evidemment pas sans risques, cette décharge à ciel ouvert n’est pourtant pas une fatalité et certains acteurs de l’espace travaillent depuis de nombreuses années pour tenter de trouver des solutions. C’est le cas de Christophe Bonnal, responsable des débris au sein de la direction des lanceurs du Centre national d’études spatiales (CNES) et invité de la prochaine conférence IPSA Demain, ce jeudi 4 mars 2021 de 15 h à 16 h 30. Pour vous donner un avant-goût de l’événement, l’école est allée poser quelques questions à ce professionnel passionnant. Et pour en savoir plus, il faudra vous rendre au campus parisien de l’IPSA ou suivre la conférence en ligne.
Christophe Bonnal
Comment définiriez-vous votre rôle au sein du CNES ?
Christophe Bonnal : Mon intitulé de poste exact, c’est Expert Senior, mais cela ne signifie pas grand-chose. J’ai plutôt pour habitude de dire que je suis ingénieur quand je travaille sur les lanceurs, et chercheur quand je travaille sur les débris spatiaux.
Quand avez-vous commencé à justement travailler sur les débris spatiaux ?
En 1987 ! Cela fait de moi le plus vieux débris actif en Europe et probablement l’un des cinq plus vieux dans le monde ! (rires) Plus sérieusement, mon « vrai » boulot, c’est les lanceurs. J’ai ainsi commencé à travailler au sein de l’entreprise Aérospatiale, aujourd’hui connue sous le nom d’ArianeGroup, sur son site des Mureaux, pour faire du développement sur Ariane 4 et Ariane 5, entre autres. Puis un jour, en 1986, nous avons pris connaissance d’une étude de l’ESOC (le Centre européen des opérations spatiales) nommée « Safe disposal of orbital objects » et menée par le professeur Walter Flury, autrement dit « le pape des débris », le visionnaire européen du sujet, vraiment le révérend du domaine. À l’époque, pas grand monde ne parlait de ça, mais cela n’a pas empêché Flury de vouloir passer une étude majeure sur ce sujet au niveau de toutes les boites européennes – est-ce que vous en faites ? Quelles sont les caractéristiques de vos débris ? Qu’est-ce que vous recommanderiez pour éviter d’en faire ? Etc. Dès lors, les Anglais ont pris en charge les satellites de communication, les Allemands des stations spatiales et nous, aux Mureaux, comme nous étions en charge des lanceurs, l’étude m’est tombée dessus. Et j’ai trouvé ça passionnant. Ce travail m’a pris deux-trois ans et l’étude finale est sortie, de mémoire, en 1989. Elle préfigurait déjà toute l’identification du problème des débris spatiaux et ce qu’il conviendrait de faire au niveau mondial.
C’est comme ça que vous avez donc attrapé le virus des débris !
Et oui ! Je trouvais ça tellement intéressant que j’ai ensuite émis l’idée que je pouvais devenir responsable du sujet des débris au sein d’Aérospatiale. Puis, quand je suis passé au CNES en 1992, j’ai repris cette activité l’année suivante. Depuis 1993, je suis donc responsable des débris au sein de la direction des lanceurs du CNES. Et cela a permis énormément de choses…
Quel genre de choses ?
La même année par exemple, j’ai pu rejoindre l’IADC en tant que premier délégué français. IADC, c’est, pour « Inter-Agency Space Debris Coordination Committee », une entité que je surnomme affectueusement le « club des pollueurs ». Aujourd’hui, l’IADC est la connexion des 13 agences spatiales mondiales capables de polluer l’espace. Elle se réunit deux fois par an pour travailler, comparer, faire un état des lieux des observations. Elle se compose de quatre groupes de travail : le groupe des astronomes, qui regardent ce qu’il se trouve au-dessus de nos têtes ; le groupe des mathématiciens, qui font tourner des modèles mathématiques à fournir aux opérateurs – je veux lancer tel engin à telle altitude, quels sont les risques d’impact avec un débris ? – et mesurent l’efficacité des mesures proposées ; le groupe en charge des blindages et de la protection des satellites ; enfin, le groupe auquel je participe, en charge de préparer les recommandations et mesures internationales, les « space debris mitigations ». Nous avons pu ainsi travailler conjointement sur un texte, les « guidelines (ou recommandations) » de l’IADC, publié en 2002. Ce texte est une sorte de bible en matière de débris puisqu’il résulte d’un consensus de toutes les agences, de l’Inde à la Chine en passant par l’Ukraine. C’était la première fois qu’un texte international témoignait d’un accord sur le problème de l’intérêt d’agir. Entre-temps, au sein du CNES, nous avons monté une petite équipe pour écrire un standard relatif au CNES, soit un ensemble de recommandations, publié en 1998. Nous étions alors les troisièmes au monde à publier un tel document, après la NASA en 1995 et l’agence spatiale japonaise en 1997.
Ce n’était que le début d’une longue aventure, finalement.
Oui car, très vite, nous avons compris que nous étions limités au sein de l’IADC. En effet, comme nous étions un regroupement d’ingénieurs, nous n’étions pas habilités à écrire des normes. Ainsi, on nous a expliqué que nos guidelines étaient bonnes, mais qu’elles devaient avant tout servir de base pour d’autres étapes. La première a concerné l’ONU : nous avons alors présenté nos travaux au COPUOS, le Committee on the Peaceful Uses of Outer Space qui siège à Vienne. Après plusieurs années de travail interne, l’organisation a finalement adopté le texte en 2007, ce qui est une avancée surtout symbolique – les résolutions de l’ONU ne sont pas, malheureusement, toujours respectées… La deuxième étape a consisté à permettre une normalisation au niveau international. Nous avons commencé sur le plan européen, en réunissant les cinq principales agences européennes – le fameux « ABCDE » qui regroupe l’ASI (Italie), le BNSC (Royaume-Uni), le CNES, le DLR (Allemagne) et l’ESA (l’agence spatiale européenne). Ce standard européen est sorti en 2004, signé par les cinq directeurs généraux de ces agences.
La troisième étape a porté sur le fait de continuer au-delà de l’Europe, à travers la mise en place d’une normalisation ISO par l’Organisation internationale de normalisation. Les normes ISO, il y en a près de 25 000 aujourd’hui et tout le monde y est confronté : si vous ouvrez votre frigo, votre yaourt répond à une norme ISO ! Bref, nous avons travaillé pour qu’existe une norme ISO au niveau des débris, la norme 24 113. Ce document, approuvé en 2011, a été écrit conjointement par des agences, des juristes, des militaires, etc. Cela a été une grande avancée, mais ça n’a pas totalement résolu le problème non plus car une norme ISO n’est applicable que si l’on vous demande de l’appliquer. Reprenons l’exemple du yaourt : ce n’est pas parce que le standard ISO correspondant existe que cela vous empêche de vous rendre dans une ferme laitière de Normandie pour acheter un yaourt qui, lui, ne sera pas normalisé ISO.
Désormais, notre mission est donc de porter notre bâton de pèlerin pour exercer amicalement une forme de pression sur toute la communauté internationale afin que cette norme ISO ou un texte équivalent soit appliqué. Par « texte équivalent », je pense à l’exemple français, qui est le seul pays au monde à avoir promulgué une vraie loi, la loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales, active depuis 2010. Une loi, c’est plus fort qu’une recommandation ou un standard. Et donc, en France, nous avons deux équipes au CNES – une à Toulouse pour les satellites et une à Paris pour les lanceurs – qui ont la charge de vérifier la conformité de cette loi pour toutes les opérations spatiales. Et si la France a adopté cette loi, c’est simplement parce que le port spatial européen se trouve sur son territoire, à Kourou, en Guyane. Voilà pourquoi, en parallèle à mon poste au CNES, je suis également délégué ISO ou encore délégué à l’European Cooperation for Space Standardization. Disons que je suis présent un peu partout où ces questions sont abordées.
En 2015, lors d’une table-ronde de l’IPSA déjà dédiée aux débris spatiaux, on apprenait l’existence de 7 000 tonnes d’objets au-dessus de nos têtes, dont 23 000 « gros objets ». Qu’en est-il aujourd’hui ?
Désormais, il faut plutôt compter entre 8 800 et 9 000 tonnes, avec près de 34 000 objets de plus de 10 cm.
Ces derniers jours, l’actualité a fait état de trois nouvelles sondes envoyées sur Mars : une émirati, une chinoise et une américaine. Cela prouve que de plus en plus de pays semblent s’intéresser davantage à la conquête spatiale, sans parler de nouveaux acteurs très médiatiques comme SpaceX. Au vu de cette expansion, le problème des débris spatiaux n’en devient-il pas irrésoluble ?
Il est vrai que l’activité spatiale a drastiquement augmenté, notamment à travers les opérations de ce qu’on appelle le « new space » ou « l’espace 4.0 », mais ce qui change, c’est le nombre de lancement de satellites actifs. Par exemple, la constellation Starlink de SpaceX représente un millier de satellites actifs, c’est-à-dire des satellites contrôlés qui ne posent pas les mêmes problèmes car, une fois en fin de vie, ils sont désorbités de façon contrôlée et évitent ainsi la création de nouveaux débris. En théorie, si ces nouveaux acteurs de l’aérospatial appliqueraient scrupuleusement la norme ISO et nos recommandations, nous n’aurions pas à nous en faire. Le souci, c’est qu’ils ne le font pas tous. Pour le moment, 64 % des acteurs respectent la réglementation internationale, ce qui n’est pas vraiment suffisant. Et la situation se complique encore quand on observe que seuls 17 % des satellites sont actuellement situés au-dessus des 600 km d’altitude – en dessous de 600 km, ils reviennent naturellement en moins de 25 ans et sont donc conformes à nos règles. On sait aussi que seuls 6 % des satellites de plus de 100 kilos respectent la réglementation… Ce n’est donc pas bon du tout. À l’inverse, on peut tout de même se réjouir de voir justement un acteur comme SpaceX faire très bien les choses pour le projet Starlink. Ses équipes ont d’abord envisagé de monter à très haute altitude, puis se sont rendu compte qu’un satellite resterait là-haut pendant 2 000 ans en cas de panne, augmentant ainsi la probabilité d’impact avec d’autres éléments. Aujourd’hui, ils ont plutôt décidé de situer leur constellation vers 360 km d’altitude, plaçant ainsi leurs satellites en-dessous de toutes les autres « populations » et évitant fortement les risques de collision. En cas de panne, cela permet également au satellite de rentrer en 1 ou 2 ans dans l’atmosphère et de brûler complétement. C’est donc un nettoyage naturel et une opération particulièrement vertueuse même si le programme Starlink prévoit d’atteindre les 12 000 satellites dans un premier temps, puis les 42 000 satellites dans un second temps. On peut éventuellement reprocher certaines choses à SpaceX, mais ils font les choses correctement sur la question des débris.
Débris spatiaux : la conférence IPSA Demain invite Christophe Bonnal du CNES
Jeudi 4 mars 2021 de 15 h à 16 h 30 sur le Campus Paris-Ivry de l’IPSA
63 boulevard de Brandebourg
94200 Ivry-sur-Seine
Suivez la conférence en présentiel à Paris-Ivry (en vous inscrivant via le formulaire ci-dessous) ou en live sur Teams via ce lien : https://bit.ly/3amu44j
Inscription pour les étudiants de l’IPSA via Pegasus
Inscription obligatoire pour les personnes externes à l’école via ce formulaire :