Fake news & aéronautique : l’IPSA invite le journaliste Frédéric Beniada, ce jeudi 8 avril
Sommes-nous suffisamment bien informés sur les sujets traitant de l’aéronautique ? Pas forcément à en croire Frédéric Beniada. Journaliste à France Info ainsi qu’au Journal de l’Aviation, ce dernier sera justement l’invité de la conférence « Avion bashing : fake news ou vérités » qu’organisera l’IPSA ce jeudi 8 avril à 14 h sur son campus parisien, un événement également accessible en ligne via Microsoft Teams. En attendant, l’IPSA vous propose d’en savoir plus sur le traitement de l’information aéronautique en compagnie du principal intéressé.
Le journaliste Frédéric Beniada
Comment a débuté votre passion de l’aéronautique et quand avez-vous voulu la lier au journalisme ?
Frédéric Beniada : Ma passion a démarré alors que j’étais tout petit. Mes grands-parents avaient une maison de campagne en région parisienne, à Pontoise, tout près d’un terrain d’aviation et, tout gamin, je passais mes journées à regarder les avions. C’est resté ancré en moi et, pendant longtemps, je me suis destiné non pas à une carrière de journaliste, mais à une carrière de pilote de ligne. Jeune, en faisant des petits boulots à droite, à gauche, je m’étais ainsi payé ma PPL (pour « Private Pilot Licence », soit la licence de pilote privé). Par la suite, je n’ai pas vraiment suivi le « cursus classique » : je ne suis pas passé par l’ENAC, mais par une école de pilotage privée jusqu’à obtenir ma licence de pilote professionnel. Et finalement, c’est un concours de circonstances qui m’a fait entrer dans le journalisme. En effet, l’époque où j’enchaînais les petits boulots coïncidait avec celle des radios libres. La radio, ça me plaisait déjà car je la considérais comme un immense laboratoire d’expression. Je me suis alors retrouvé à faire de la FM, parce que cela m’amusait et pour payer mes heures de vol. Le hasard m’a un jour amené à me retrouver sur France Inter, pour des remplacements sur les points route. Un job alimentaire. À cette période, la plupart des personnes chez France Inter travaillait aussi pour France Info dont c’était les débuts – il y avait une toute petite équipe. Si bien qu’un jour, le rédacteur en chef de France Info m’a appelé : « Qu’est-ce tu fous à Aulnay-sous-Bois à faire de la circulation routière pour France Inter ? Viens plutôt travailler pour nous ! » Moi, je lui ai répondu que je n’étais pas journaliste, mais pilote. « Ce n’est pas grave : tu as une bonne voix. Viens faire du journalisme chez nous ! » Et comme il fallait que je paye mon loyer, mes heures de vol et pas mal de choses, je m’étais dit pourquoi pas, en attendant. J’ai alors rejoint France Info à la fin du mois de juillet 1990 et, le 2 août, l’Irak envahissait le Koweït, marquant ainsi le début de la première guerre du Golfe… et donc de la première grave crise du secteur aérien, ce qui allait fermer les portes aux jeunes pilotes les moins expérimentés. J’ai alors continué dans le journalisme, tout en gardant un œil et un pied dans le secteur de l’aviation, en continuant notamment à piloter et à m’occuper d’instruction en AéroClub. Depuis, j’ai toujours cumulé les deux activités, faisant même un peu d’aviation d’affaires ou travaillant sur des cas de situations de crise pour différents organismes. De toute façon, quand on aime l’avion depuis tout petit, on garde ça normalement toute sa vie !
C’est parce que vous cultivez ces deux facettes que vous pouvez pointer du doigt cette méconnaissance du sujet de l’aéronautique dans le monde médiatique, non ?
Frédéric Beniada : Totalement et cette méconnaissance a quelque chose d’assez frustrant. L’opinion publique, à travers les journalistes et les politiques, cultive une image assez faussée du secteur. Pour beaucoup, l’aviation et le transport aérien restent encore aujourd’hui réservés à une élite – une image qui date des débuts de l’aviation commerciale – alors que la démocratisation du transport aérien a déjà quasiment 40 ans via la première apparition des vols low-cost ! Les clichés sont tenaces et les idées reçues ont du mal à disparaître. Prenez l’exemple du vol charter : pendant des années, ce dernier a été systématiquement associé à un manque de sécurité pour le grand public alors qu’il s’agit juste d’une mode de commercialisation. Même chose pour le low-cost : on disait que ces compagnies étaient moins sûres, que leurs avions étaient « pourris », alors que c’était l’inverse. En effet, comme leurs avions étaient plus modernes, ils consommaient moins et demandaient une maintenance moins récurrente. Toutefois, ce souci de perception est aussi lié au secteur en lui-même. Comme ce dernier a longtemps connu une croissance à deux chiffres, il ne s’est jamais vraiment posé de questions sur l’image à laquelle on l’associait ni sur sa façon de communiquer. Or, aujourd’hui, cela devient un vrai problème, parce que vient se rajouter notamment la question environnementale avec des militants écologistes qui occupent le terrain sans pour autant connaître la réalité de ce qu’est l’aviation ni celle des efforts qu’elle a pu faire en la matière depuis bientôt 50 ans. Car oui, l’aéronautique n’a pas attendu ces dernières années pour réaliser des efforts pour la simple et bonne raison que les deux postes de dépenses les plus importants pour un avion sont la consommation de pétrole et les salaires. Au-delà même de l’impact environnemental, l’intérêt des compagnies aériennes et des constructeurs a toujours été de réduire cette consommation pour gagner en rentabilité. Mais voilà, comme la nature a horreur du vide et que l’industrie dans son ensemble peine à communiquer sur ce sujet et surtout à se fédérer pour parler d’une seule voix, cette image perdure et se trouve renforcée par des mouvements comme ceux initiés par Greta Thunberg ou des lobbys écologistes extrêmement forts. Et par rapport à cette situation, les journalistes doivent jouer un rôle très important, sauf que dans les faits, nous sommes peu nombreux à connaître ce secteur. Je le vois bien quand j’en parle moi-même à France Info. Si je dis que la réelle empreinte carbone de l’aviation représente autour de 2,5 % des émissions mondiales de CO2, on me répond que ce n’est pas possible, que c’est mon fort tropisme pour l’aéronautique qui s’exprime.
Est-ce que ces fantasmes autour de l’aéronautique s’expliquent aussi par l’identité de ce secteur qui réunit de grands industriels et concerne également de forts enjeux économiques, militaires et donc nationaux ?
Frédéric Beniada : Il y a de ça, mais c’est surtout lié au fait que ce secteur s’est longtemps senti à l’abri de potentielles attaques, notamment sur son bilan écologique, et qu’il ne jugeait pas l’intérêt de communiquer sur ses actions alors qu’il avait la matière pour le faire. Je pense notamment aux programmes initiés par le Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile (CORAC) ou au Système d’Echange de Quotas d’Emission (ETS). Le secteur a pris depuis longtemps conscience de l’intérêt de réduire son empreinte carbone même si cette dernière est infime par rapport à l’automobile et au textile, qui représentent respectivement 20 % et 10 % de l’émission mondiale de CO2. Idem pour le numérique qui avoisine les 10 %. Reste que le secteur de l’aéronautique attire davantage l’attention et se trouve facilement attaquable parce qu’il est visible et considéré comme réservé à une élite. Quand, en France, on oppose le train à l’avion, le débat est complètement faussé car on compare simplement l’empreinte carbone pour aller d’un point A à un point B sans prendre en compte le reste. Ce genre d’opposition élude généralement l’empreinte en matière de biodiversité alors que la construction d’une ligne TGV est dramatique de ce point de vue. On évite aussi d’aborder le besoin en électricité – fournie par le nucléaire en France ou le charbon en Allemagne – ni le fait qu’un Paris-Bordeaux en train desservira toujours uniquement deux villes alors qu’un avion peut démultiplier ses destinations sans être « bloqué » par l’existence d’une ligne unique. Ce manque d’explications implique un gros travail à faire auprès des journalistes et des politiques qui font office de relais avec l’opinion publique.
Les chemtrails, des traînées donnant lieu à des théories fumeuses
Quand on pense désinformation et aviation, on pense forcément à certaines théories conspirationnistes, comme celle liée aux fameux « chemtrails »… À défaut d’avoir un secteur conscient de l’importance de communiquer, c’est donc aux politiques de prendre la parole afin d’éviter que ce genre de discours gagne en audience ?
Frédéric Beniada : Oui, mais encore faut-il que les politiques soient en mesure de le faire. Dans la classe politique, il y a une méconnaissance générale sur ces sujets ainsi qu’une grande tendance a d’abord suivre l’opinion publique même si celle-ci est mal informée. Prenons le cas de la Convention citoyenne pour le climat : les personnes sélectionnées ont beau être de très bonne foi, on leur a uniquement présenté les choses d’une certaine façon, à travers l’intervention de lobbys écologistes. Et si jamais, à ces personnes comme à d’autres, on leur dit que les « chemtrails » polluent, ils vont forcément le croire alors que ces traînées dans le ciel ne sont que de la vapeur d’eau ! En effet, la température en altitude est de l’ordre de -30°/-40° et, comme les moteurs sont chauds, cela engendre un phénomène de condensation. Cette méconnaissance concerne donc les politiques, mais aussi les journalistes. En fait, c’est avant tout un problème d’exposition médiatique et de communication : on écoute d’abord une adolescente de 16 ans comme Greta Thunberg plutôt qu’un ingénieur de l’ONERA qui travaille toute la journée. C’est une affaire de lobbying, de présence, et le secteur de l’aéronautique ne s’implique pas assez à ce niveau. De fait, si le peuple dit que l’avion pollue trop et qu’il faut l’arrêter, le politique, parfois par démagogie, peut abonder dans son sens pour prendre des décisions qui, à défaut d’avoir un réel impact écologique, se montreront désastreuses d’un point de vue économique, en faisant fi de l’importance du transport aérien au niveau mondial. Rappelons au passage que la France est la première destination touristique : arrêter l’avion, c’est lui faire perdre d’importantes ressources.
Dernièrement, en dehors du spectre de l’aéronautique, on a pu également constater certaines carences politiques et médiatiques autour des traitements de la 5G, des vaccins, etc. Au fond, ce déficit informationnel n’est-il pas avant tout révélateur d’un profond manque de culture scientifique ?
Frédéric Beniada : Il est complexe de faire voler un avion comme il est complexe de l’expliquer. Or, nous préférons aller au plus simple. Dire que l’avion pollue, c’est simple. Dire pourquoi, en montrant en quoi il polluerait davantage que le train ou l’automobile, c’est une autre histoire… Il est surtout fondamental de prendre du recul sur ces sujets. Vous ne pouvez pas aborder le cas de l’avion sans rappeler que, sur une planète recouverte à près de 70 % d’eau, cela reste le moyen de transport le plus rapide. Ce travail sur la culture doit se faire avec la participation des différents acteurs concernés. Dans l’aéronautique, cela implique de voir les industriels, les aéroports ou encore les compagnies aériennes prendre la parole, occuper le terrain et se fédérer. Ils doivent parler d’écologie, bien sûr, mais aussi d’emploi, d’économie, etc. Le transport aérien est l’un des rares secteurs qui fait pencher la balance commerciale de la France dans le positif, mais on ne le sait pas forcément. D’ailleurs, la France est le pays qui, avec les États-Unis, a inventé l’aviation. C’est aussi le pays d’Airbus, de très grandes inventions, du Concorde… Pourtant, il y a une forme de mépris et on fait de l’avion le bouc-émissaire de l’opinion.
« Avion bashing : fake news ou vérités » : la conférence IPSA Demain invite le journaliste Frédéric Beniada
Jeudi 8 avril 2021 de 14 h à 15 h 30 sur le Campus Paris-Ivry de l’IPSA
63 boulevard de Brandebourg
94200 Ivry-sur-Seine
Suivez la conférence en présentiel à Paris-Ivry (en vous inscrivant via le formulaire ci-dessous) ou en live sur Teams via ce lien : https://swll.to/avion-bashing-8-avril
Inscription pour les étudiants de l’IPSA via Pegasus
Inscription obligatoire pour les personnes externes à l’école via ce formulaire :